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Substance, attributs, modes
Spinoza arrive. Il a été précédé sans doute par tous ceux qui avaient plus ou moins d’audace
concernant la cause immanente, c’est-à-dire cette cause bizarre telle que, non seulement
elle reste en soi pour produire, mais ce qu’elle produit reste en elle. Dieu est dans le monde,
le monde est en Dieu. Dans l’Éthique, je crois que l’Éthique est construite sur une première
grande proposition qu’on pourrait appeler la proposition spéculative ou théorique. La proposi-
tion spéculative de Spinoza, c’est : il n’y a qu’une seule substance absolument infinie, c’est-à-
dire possédant tous les attributs, et ce qu’on appelle créatures, ce ne sont pas les créatures,
mais ce sont les modes ou les manières d’être de cette substance. Donc, une seule substance
ayant tous les attributs et dont les produits sont les modes, les manières d’être. Dès lors, si
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ce sont les manières d’être de la substance ayant tous les attributs, ces modes existent dans
les attributs de la substance. Ils sont pris dans les attributs. Toutes les conséquences appa-
raissent immédiatement. Il n’y a aucune hiérarchie dans les attributs de Dieu, de la substance.
Pourquoi ? Si la substance possède également tous les attributs, il n’y a pas de hiérarchie
entre les attributs, l’un ne vaut pas plus que l’autre.
En d’autres termes, si la pensée est un attribut de Dieu et si l’étendue est un attribut de Dieu
ou de la substance, entre la pensée ou l’étendue il n’y aura aucune hiérarchie. Tous les attri-
buts auront même valeur dès le moment où ils sont attributs de la substance. On est encore
dans l’abstrait. C’est la figure spéculative de l’immanence. J’en tire quelques conclusions. C’est
ça que Spinoza va appeler Dieu. Il appelle ça Dieu puisque c’est l’absolument infini. Qu’est-ce
que ça représente? C’est très curieux. Est-ce qu’on peut vivre comme ça ? J’en tire deux con-
séquences .
Libération de la cause immanente
Première conséquence : c’est lui qui ose faire ce que beaucoup ont eu envie de faire, à sa-
voir libérer complètement la cause immanente de toute subordination à d’autres processus
de causalité. Il n’y a qu’une cause, elle est immanente. Et ça a une influence sur la pratique.
Spinoza n’intitule pas son livre Ontologie, il est trop malin pour ça, il l’intitule Éthique. Ce qui
est une manière de dire que, quelle que soit l’importance de mes propositions spéculatives,
vous ne pourrez les juger qu’au niveau de l’éthique qu’elles enveloppent ou impliquent. Il libère
complètement la cause immanente avec laquelle les juifs, les chrétiens, les hérétiques avaient
beaucoup joué jusque là, mais à l’intérieur de séquences très précises de concepts. Spinoza
l’arrache à toute séquence et fait un coup de force au niveau des concepts. Il n’y a plus de sé-
quence. Du fait qu’il a extrait la causalité immanente de la séquence des grandes causes, des
causes premières, du fait qu’il a tout aplati sur une substance absolument infinie qui comprend
toute chose comme ses modes, qui possède tous les attributs, il a substitué à la séquence un
véritable plan d’immanence. C’est une révolution conceptuelle extraordinaire : chez Spinoza
tout se passe comme sur un plan fixe. Un extraordinaire plan fixe qui ne va pas être du tout un
plan d’immobilité puisque toutes les choses vont se mouvoir – et pour Spinoza ne compte que
le mouvement des choses – sur ce plan fixe. Il invente un plan fixe. La proposition spéculative
de Spinoza, c’est ça : arracher le concept à l’état des variations de séquences et tout pro-
jeter sur un plan fixe qui est celui de l’immanence. Ça implique une technique extraordinaire.
C’est aussi un certain mode de vie, vivre dans un plan fixe. Je ne vis plus selon des séquences
variables.
Alors, vivre sur un plan fixe, qu’est-ce que ce serait ? C’est Spinoza qui polit ses lunettes, qui
a tout abandonné, son héritage, sa religion, toute réussite sociale. Il ne fait rien et avant qu’il
ait écrit quoi que ce soit on l’injurie, on le dénonce. Spinoza, c’est l’athée, c’est l’abominable. Il [ Pobierz całość w formacie PDF ]